18è édition du Festival du 28 au 30 Mars 2024

TAHITI LES JOURS DU RETOUR

Réalisateur : Benjamin DELATTRE

Production : Mélisande Films 

Fiction / France / 71 mn / VOF et tahitien  / 2022

Première représentation publique dans l’hexagone

4 décembre 2022 - 14:00 - Palais des congrès

Intervenant
Benjamin DELATTRE - Réalisateur

A propos

A son retour de guerre, un tahitien se retire dans la forêt avec sa femme. Ils disparaissent. Un ancien soldat français en mission à cette époque à Tahiti revient dans l’archipel des années après. Il espère les retrouver.

Un film de Benjamin DELATTRE écrit avec Baptiste Amigorena (montage), Chloé Desplechin (direction artistique), Isabelle Poudevigne (dramaturgie), produit par Sophie Faudel.

Entretien avec Benjamin Delattre

Pourquoi faire un film en Polynésie ?

En tant que francophone, je me sens lié, par la langue et une histoire commune, aux outre-mers, et aux polynésiens en particulier. Tahiti, l’île la plus peuplée des 118 îles polynésiennes, est connue dans le monde entier à cause de son image touristique. Cette image va souvent de pair avec l’idée que ces îles seraient des petits paradis où le bonheur est simple. Beaucoup d’autres îles connaissent ce sort, mais Tahiti m’a paru être l’emblème de cette méprise. C’est ce mythe réducteur qui m’a d’abord intéressé. Il n’est pas du tout conforme à ce qu’est la Polynésie. Ce mythe a été largement alimenté par la littérature de voyage, et par l’entreprise coloniale. La complexité des rapports entre la métropole française et les territoires ultramarins n’est pas sans lien avec cela. Je désirais donc rencontrer d’autres gens, faire voir une autre image, entendre une autre musique que ce qu’on est habitué à voir et entendre. Je voulais aussi saisir la condition des Polynésiens d’aujourd’hui. J’ai passé plusieurs mois à Tahiti et dans les îles australes pour faire ce film.

D’où vient l’idée de faire ce film ?

L’envie de faire un film s’est précisée après avoir passé des heures à chercher des personnages et des décors à Tahiti. En cherchant à comprendre comment les gens vivaient dans ce paradis supposé, j’ai rencontré celles et ceux qui sont devenus les personnages du film. J’ai découvert chez eux un imaginaire du combat très fort. La guerre est vécue de façon très concrète au quotidien et dès le plus jeune âge pour les garçons et pour les filles. Depuis les débuts de la colonisation, dans beaucoup de familles, un des enfants du foyer s’engage sous les drapeaux français, et se retrouve dans des territoires situés aux antipodes du pays natal. Ce départ est souvent une vocation, mais il est aussi un moyen de s’émanciper, et un travail. J’ai emprunté à cette réalité quelques personnages et une situation qui est le coeur du film : le retour d’un jeune soldat tahitien sur son île, après la guerre.

C’est l’histoire de deux retours, celui d’un soldat tahitien après la Seconde guerre mondiale, mais aussi celui du soldat-narrateur qui traverse en bateau une partie de la Polynésie d’aujourd’hui. Qui sont ces deux personnages ?

Le narrateur est un ancien soldat de l’armée française, un métropolitain, il n’est pas tahitien. Il est venu en Polynésie dans les années 1990. Il a fini par être affecté à la surveillance des infrastrucures nucléaires françaises où l’on a expérimenté la bombe atomique, entre 1966 et 1996. Il y a rencontré des soldats tahitiens engagés dans des théâtres d’opérations français.
Alors qu’il revient aujourd’hui dans les décors de ses missions passées, il exhume l’histoire d’un autre soldat, Manutahi. Ce soldat tahitien, disparu, s’est engagé très jeune sur les fronts européens, en 1942, avant de revenir à Tahiti quatre ans plus tard, et de retrouver Maria, qui est aussi l’un des personnages principaux du film.
Pourquoi ne voit-on jamais le personnage narrateur du film, Damien Bonnard ? Le personnage narrateur n’est jamais montré. Il n’est rattaché à rien de visible parce que nous sommes avec lui. Le film est vu depuis son for intérieur. C’est lui le moteur de l’action. Il revient à Tahiti parce qu’il s’est rendu compte qu’il n’a rien vu de la Polynésie, qu’il est passé à côté de l’essentiel. Nous n’en savons jamais plus que lui, ce qui nous donne l’impression d’être avec lui. Il rend possible la rencontre avec ces mers, ces terres, et ces visages méconnus. C’est Damien Bonnard qui incarne cette présence hantée et intérieure, comme une confidence, dans un style parlé.

Pourquoi avoir choisi Damien Bonnard ?

Pour interpréter le personnage narrateur, je cherchais quelqu’un de profond, et poétique et en même temps quelqu’un de très direct. C’est un ancien soldat écorché par son expérience en Polynésie. Quand il parle, il est encore sous ce choc qu’endurent beaucoup de soldats, une fois leur carrière militaire terminée – ce même choc qu’a connu Manutahi, son alter ego tahitien. Damien Bonnard est quelqu’un d’une grande intensité et d’une grande générosité. Il a beaucoup vécu avant d’être acteur. Il a fait tous les petits boulots possibles. Il suffit de regarder ses mains pour s’en rendre compte. Il était l’interprète idéal pour ce personnage narrateur.

Les personnages polynésiens sont surprenants, comment ont-ils été dirigés ?

À l’exception du personnage narrateur qui fait communiquer les mondes, la métropole et la Polynésie, le film n’a été tourné qu’avec des polynésiens qui ne sont pas des acteurs professionnels. L’idée était de montrer les expressions et les attitudes des polynésiens. Je ne voulais surtout pas d’effet de spectacle ou de maquillage. Les costumes ont été choisis aussi de façon à ne pas attirer l’attention vers quelque chose qui relèverait du cliché de Tahiti. Je voulais que les personnages du film soient des gens qu’on puisse croiser ou avoir croisé dans la rue en Polynésie.

Il y a un ton particulièrement réaliste dans certaines séquences, pourquoi ?

Oui, il s’agissait de chercher un aspect de vérité partout et tout le temps dans le film, de trouver une expression plus juste de la réalité, de tirer le portrait de cette Polynésie-là.

Pourquoi le film est en couleurs et en noir et blanc ?

Le cœur du film est en noir et blanc : il permet de concentrer graphiquement l’attention sur ce qui est l’essentiel de l’action, distinct du tableau en couleur qui est fait de la Polynésie d’aujourd’hui. Le noir et blanc donne aussi un caractère fabuleux à la vie de ce couple tahitien, retrouvé par le narrateur comme par réminiscence.